www.collection-agricole.fr

 Introduction : Historique de la transformation du lait

Ancien de l'Ecole Nationale d'Industre Laitière de Poligny et de l'Institut d'Etude Supérieure d'Industrie et d'Economie Laitière, j'ai amassé un peu de documentation pour vous donner quelques données historiques.

Naissance et développement de l’industrie.

            Le XIX ème siècle marque un changement profond dans l’histoire et l’évolution de la laiterie française.
            Siècle des grandes découvertes et déjà des mutations sociales et commerciales : la fabrication fromagère figée en quelque sorte depuis plusieurs siècles s’ouvre à la science et de nombreux savants ont marqué de leur sceau le secteur alimentaire.

- Appert en début de siècle observe la conservation par la concentration.

- Liebig en 1836 explique la fermentation.

- Pasteur en 1876 montre l’action du chauffage sur les microbes et fait la distinction entre les germes aérobies.

- Metchnikov travaille sur les bactéries acides et met au point la pasteurisation.

- Tyndall, physicien met en évidence la sporulation.

- Fush-Lefeld étudie la centrifugation tandis que nous devons la première écrémeuse à de Laval et son perfectionnement à Melotte

Que de nom de chimistes, physiciens et bactériologistes ne faudrait-il pas citer, qui ont fait progresser les connaissances et donc la technologie ?
            L’on peut souligner que la seconde moitié du XIX ème siècle a constitué pour notre industrie un premier grand tournant et par l’ouverture de la recherche fondamentale et par la maîtrise du froid et du chaud et l’affirmation bactériologique.
            C’est ainsi que peu à peu la science éclaire l’empirisme d’hier, et nous pensons de même, que la seconde moitié du XXème siècle avec ses mutations sociales, sa restructuration industrielle, son consumérisme, marque un deuxième grand tournant dans notre industrie ; non seulement par l’approfondissement de la connaissance et la maîtrise de la matière première, mais également par la pénétration de l’informatique voir du microprocesseur et des techniques nouvelles comme la cryogénie, l’osmose inverse, l’ultrafiltration…
            Ainsi l’on peut dire que la matière première lait n’a pas livré tous ses secrets, et sans doute aurons-nous bientôt une technologie « lacto-moléculaire »…pour l’innovation laitière et alimentaire de demain.

Le fromage à travers les âges.

            On aurait trouvé dans la tombe de Horus-aha deuxième roi de la première dynastie égyptienne (environ 3000 ans av JC), des récipients ayant contenu du fromage…
            Il est bien certain que de la plus haute antiquité à nos jours, le lait représente l’aliment de vie par excellence.
            Dans la préhistoire, l’homme au milieu de son troupeau, consomme viande fraîche puis boucanée, lait frais puis par –conséquence de climat chaud- caillé : c’est déjà l’amorce du report et de la conservation de l’aliment.
            Chèvres et brebis sont les espèces laitières préférées des Grecs (réputation des chèvres du Syrros) et la transhumance est courante.
La pratique du caillé à l’aide de végétaux acidifiants, suc de figuier est soulignée dans l’Odyssée d’Homère.
            Les Romains utilisent surtout la chèvre et réservent le lait d’ânesse pour les soins de beauté !
            La fabrication fromagère chantée par Virgile est décrite avec soin par Columelle dans son traité d’Agriculture (1er siècle av JC).
            Les siècles passent…les monastères véritables centre de civilisation ( Cluny, Citeaux…) défrichent, l’élevage progresse, des fromages déjà célèbres apparaissent – Maroilles, Pont  Levêque, Port Salut, Angelots, «  chaussée au moine » plus tard, marquent le commerce et les techniques.
Isigny a son cru prisé en hiver par les parisiens qui consomment habituellement le beurre de Vanves ou de Vincennes.
            Sous l’impulsion d’Olivier de Serres, les améliorations fourragères facilitent, au XVIIème siècle, l’implantation bovine et donc les productions beurrière et fromagère (Brie de Meaux, Livarot, Gournay, Bleu de Septmoncel, Gruyère de Franche-Comté).
On prend conscience, des précautions hygiéniques à l’égard du lait, des soins et pratiques fromagères enseignés au siècle précédent par Charles Estienne  et Jean Liebaut (Agriculture et Maison Rustique).
            De même se développent les marchés du beurre (de Gournay de Normandie et des salés de Bretagne). Selon le Gazetin du Comestible, »le beurre fin de cellier de Picardie, à 18 sols la livre est plus apprécié que celui de la Prévalais », les fromages à la crème de Viry à 15 sols chez soi ! sont prisés par la Reine. On cite les fromages d’Olivet et de Marolle, de Camembert en Anjou ! (avant Marie Harel). Au XIXème  l’on peut dire que les fromages fermiers français sont très nombreux et leur type varie souvent d’une contrée à l’autre. Chaque village voire chaque fermière essaye une recette ou modifie sa façon de faire, pour mieux vendre sur le marché. C’est l’innovation avant la lettre et l’on se transmet en famille telle ou telle recette ou tour de main issus d’observations empiriques que l’on ne cherche pas à approfondir.

Le fromage un produit méditerranéen, son importance dans le monde romain.

            Le buffle est introduit en Italie au IVème siècle av JC, mais l’élevage du gros bétail n’y prit jamais une forte ampleur. Cela est dû particulièrement à la configuration du sol de la péninsule et à la mauvaise répartition des terres et des massifs montagneux. Cette situation particulièrement défavorable pèse d’ailleurs encore aujourd’hui sur l’économie et l’agriculture de l’Italie. Des camions citernes de lait passent tous les jours de France vers l’Italie.
            Ce furent pourtant les Romains qui lui donnèrent la première impulsion en l’introduisant dans les régions alpestres. C’est par le Valais romain que l’industrie fromagère fut introduite en Suisse vers le IIIème siècle, n’en déplaise aux Bernois qui voudraient que l’Emmental  était l’ancêtre de tous les fromages.
            Les paysans consacraient une part importante de leur activité à l’élevage d’animaux dont ils utilisaient une partie du lait pour l’alimentation. C’étaient dans l’ordre décroissant en importance : les brebis, les chèvres et les vaches.
Médecins et agronomes discutaient des qualités respectives de ces différents laits mais, l’usage de tel lait particulier dépendait des conditions locales, de l’importance des propriétés, de la nature des pâturages et des besoins en vaches pour la culture, la traction et les diverses autres corvées.
            Transformer le lait en fromages est une double nécessité. Il faut mettre de côté des réserves pour l’hiver quand la production du lait est à son point le plus bas ou bien il faut utiliser la production laitière des régions isolées et situées loin des villes où son apport pour la vente immédiate est impossible.
            L’été, quand les troupeaux sont partis en transhumance dans les pâturages élevés et dans les forêts, la fabrication des fromages est la tâche principale des bergers. Cette industrie parait avoir été le propre de la civilisation méditerranéenne puisque les Barbares (populations existant hors du monde romain) qui vivent pourtant de lait passent pour ignorer le fromage.
            Chez les Romains, l’importance de l’opération de transformation du lait est soulignée par le soin que Varron et Columelle apportent à le décrire.
Apicius (épicurien célèbre né en 25 av.JC ) en donne de larges extraits au 4éme livre de son œuvre. De son côté Columelle donne les prescriptions suivantes : « Pour faire le fromage, il doit être fait de lait très pur et très nouveau, car le lait ancien ou mélangé ne tarde pas à contracter de l’âcreté. Ordinairement, c’est avec de la présure d’agneau, de chevreau, de faon, de levraut, ou même de poulet dont les estomacs contiennent du ferment lab qu’on le fait cailler, ou avec la sève laiteuse que rend le figuier quand on pratique une incision à l’écorce de l’un de ses rameaux. ». Les grecs appelaient  « opias » les fromages obtenus avec du caillé ainsi coagulé.(Athénée :écrivain gréco-latin du IIIème siècle), mais on utilise diverses autres présures : fleurs de chardons sauvages, graines de safran bâtard.
            « Il n’est pas douteux que les jeunes pousses de figuier mises dans le caillé lorsqu’il se coagule ne lui communiquent une saveur très agréable. »
            « Le vase à traire, lorsqu’il a reçu le lait, doit être maintenu tiède à un certain degré ; il ne faut pourtant pas le mettre sur le feu comme le croient certains mais on doit l’y placer à distance convenable. Aussitôt que le lait est coagulé il faut le distribuer dans des corbeilles de jonc « fiscinae » ou « fiscellae », dans des paniers ou des formes de bois percées de trous les « formae », d’où les latins on tiré formage puis fromage et en langue d’Oc « fourme et fourmaige ».

                                    
            « Au plan pratique il est surtout important de faire promptement écouler le petit lait et de le séparer du caillé. C’est pourquoi les paysans ne lui laissent pas le temps de s’égoutter de lui-même, ce qui n’a lieu que lentement, mais dès que le caillé a pris quelque consistance, ils le chargent de poids de pierre qui, par leur pression font sortir le sérum. ( l’emploi du pressoir à vis n’apparaîtra qu’au 1er siècle après J C.). Ensuite, dés que le fromage est tiré des formes, on le place dans un lieu sombre et frais pour qu’il ne se gâte pas, sur des tablettes bien propres où on le saupoudre de sel égrugé pour sortir toute la liqueur qu’il contient. Lorsqu’il est devenu ferme on le presse plus fortement pour le rendre compact puis on sale de nouveau avec du sel grillé et on le charge de nouveaux poids pour le condenser davantage. Après cette opération continuée neuf jours, on lave les fromages à l’eau douce et on les dispose à l’ombre sur des claies faites exprès, de manière qu’ils ne se touchent pas entre eux et qu’ils puissent sécher un peu plus ; ensuite, pour qu’ils se conservent tendres on les entasse sur des tablettes dans un lieu clos qui ne soit pas exposé au vent. Moyennant ces précautions, le fromage n’est ni trop spongieux, ni trop salé, ni desséché ».
            Quant a celui qui doit être consommé frais dans l’espace de peu de jours, il se prépare avec moins de soin ; on se borne à le tirer des formes, à le tremper dans la saumure et on le fait un peu sécher au soleil. Quelques personnes, avant d’assujettir les animaux dans leur carcans pour les traire, mettent dans leur vases des cônes verts de pin, font tomber le lait dessus et ne les retirent que lorsqu’ils mettent le lait coagulé dans les formes. D’autres écrasent des pignons verts, les mettent en mélange avec le lait qui se coagule avec eux. Il y en a qui le font prendre avec du suc de thym pilé et passé à la chausse. On peut, par le même moyen, donner au fromage la saveur que l’on veut en y ajoutant le condiment que l’on préfère »
            « On connaît partout le moyen de faire le fromage pressé à la main : « caseus manus pressus ». Quand le lait commence à se coaguler dans le vase à traire et qu’il est tiède encore, on le divise par tranches, on le plonge dans l’eau bouillante et on lui donne à la main une figure quelconque ou bien on le presse dans des moules de buis. Rendu ferme par la saumure, il n’a pas une saveur désagréable quand on l’a soumis à la fumée du bois du pommier ou du chaume ».
            Le fromage au lait de vache de ce genre était très prisé d’Auguste et reste de nos jours encore le fromage préféré des habitants du Latium et de la Campanie. D’ailleurs, la commercialisation de ces variétés de fromages à pâte « plastique » tels les cacoi cavalli, provolone et scamorze non seulement s’est étendue à toutes l’Italie mais à la Grèce et à tous les pays du bassin de la Méditerranée.

                                                                 Provolone
Les fromages au lait de vache semblent avoir été les plus appréciés en raison de leur rareté, puis ceux de brebis, enfin ceux de chèvre, avec des exceptions, toutefois, suivant les pays d’origine. Le fromage au lait de jument, en usage chez les Scythes et connus sous le nom d’ « hippace » est réservé aux seuls usages médicaux.
            Divers procédés permettaient la conservation du fromage. D’abord, le salage, procédé le plus simple combiné avec le séchage à l’ombre sur des claies avant de le rentrer à l’abri de l’air, le fumage, pratique très répandue répondait au goût des Romains qui appréciaient aussi les saucisses, le vin fumés ; il est encore pratiqué en Italie et la recette que donne Columelle du « caseus manus pressus » est celle presqu’exacte des modernes variétés citées précédemment.
            On fumait à Rome tout spécialement le fromage de chèvre. Il est fait allusion, dans le « digeste » d’Ulpien (jurisconsulte  Tyr (170-228) ), au fumet d’une fromagerie « taberna casearia », installée au rez de chaussée d’une maison qui incommodaient les habitants de l’étage. Le fumage se faisait à la ville et le « caseus fumosus » des fromageries du Velabre avait une réputation bien assise, son goût étant jugé de loin le meilleur. Du temps de Martial (poète latin Biblis (40-104) ) on poussait le raffinement jusqu’à utiliser des herbes et des bois spéciaux pour le fumage. On conservait aussi le fromage dans des feuilles de serpentaire ou de gouet qui l’empêchaient de moisir.
            La réputation des fromages variait avec les régions. Dans le centre de la péninsule on cite les « vestini » dont la qualité supérieure était à ceux provenant du « campus caedeccius ». Pline l’Ancien les a réunis dans une nomenclature de son Histoire Naturelle intitulée « de Diversitate Caseorum ».On peut y relever que « le fromage le plus estimé à Rome où l’on juge en présence de l’un et de l’autre les productions de tous les pays, est, parmi les fromages des provinces, celui qui vient de la contrée de Nîmes, de la Lozère, le « surae » et du Gévaudan, le « Gabellecique », mais le mérite en dure peut et ne vaut que tant qu’il est frais ».
Les pâturages des Alpes se recommandent par deux espèces de fromages : le « Docléate » en provenance des Alpes dalmatiques, le «  Vatusique »des Alpes centoniennes. On goûtait aussi les fromages des Alpes carniques que les montagnards venaient vendre en Vénétie. L’Apennin, plus fertile en espèces de fromages, envoie de Ligurie le fromage de « Ceba » qui est fait de lait de brebis et le fromage de « Luna » originaire d’Etrurie remarquable par sa grosseur, dont le poids atteignait mille livres soit 327 kg. Aux portes de Rome était couramment proposé le « Vestus ou »Vestin » dont le meilleur provenait de la campagne ceditienne. Les Romains recevaient aussi le fromage de Velabre qui était fumé et celui de Trebula, en Sabine, qui était passé à «  un léger feu ou détrempé dans l’eau ». (Martial)
Les chèvres donnent un fromage estimé surtout en Agrigente (Sicile) dont on augmente le mérite en le fumant. Les Romains de Sicile, comme les Grecs étaient très friands de fromages de chèvre et comme eux, ils préféraient à l’agrigentin le fromage de Tromélie, petite ville d’Achïe (Athénée). Parmi ceux que Celse (médecin du siècle d’Auguste) appelle « fromages d’outre-mer » on connaît celui de Bithynie (ancienne contrée de l’Asie mineure sur le Pont-Euxin). Toutefois les plus nommés étaient toujours ceux de Crète en forme de larges disques qui servaient à des offrandes rituelles ainsi que ceux de Sarsuna, en Ombrie, cylindriques, rappelant par leur forme la méta (pierre chasse-roue) du cirque ou du moulin.
L’oxygale ou Opias d’origine grecque était toujours apprécié. En voici la recette d’après Columelle (écrivain du 1er siècle ap JC « traité sur l’agriculture ») : « Prenez un pot neuf, percez-le à son fond, bouchez avec une cheville le trou que vous avez pratiqué, remplissez ce vase de lait de brebis très frais et ajoutez-y des bouquets d’herbes vertes, telles que origan, menthe, oignon, coriandre. En cet état, plongez vos herbes dans le lait de manière que leur liens les surmontent. Au bout de cinq jours, retirez la cheville qui bouchait le trou du vase et faites s’écouler le petit lait. Dès que le caillé commence à apparaître au niveau de l’orifice d’écoulement, rebouchez le vase avec la même cheville et trois jours plus tard vous ferez s’écouler le reste du sérum, puis vous enlèverez et jetterez les bouquets d’herbes et froisserez sur le caillé un peu de thym et de sarriette secs, enfin vous y ajouterez et y mêlerez ce que vous voudrez de poireaux sectiles hachés bien menu. Bientôt quand deux jours se sont écoulés donnez de nouveau une issue au sérum, bouchez le vase, ajoutez une quantité suffisante de sel égrugé et opérez le mélange en triturant, mettez un couvercle et luttez (fermez hermétiquement). Vous n’ouvrez ce vase que lorsque le besoin l’exigera…"

Columelle nous laisse bien d’autres recettes mais vous pouvez constater par cet aperçu que le fromage était important dans la vie romaine.

Bibliographie : la technique laitière, auteurs latins, Androuët.

Chèvres ……… et Fromages

            La chèvre a de tout temps fait partie de l’économie pastorale et son élevage marque bien des régions en dehors du bassin méditerranéen.

                                              
            Au Moyen Age les troupeaux sont nombreux et souvent constituent un placement de fond : exemple cet acte d’ »Arrentement de chièvres »du 4 11 1561.
« Michel Combe, marchand de St-Rémy, arrente à Claude Escassin du lieu d’Eygallières deux cabres de port et deux petites cabrettes pour trois ans à la rente de la moytié du croys et fruicts qui proviendrait des dites deux cabres et deux cabrettes durant ledit temps à la fin duquel ledit croys et fruicts se partira par moitié avec les paches qui s’ensuivent… »
            Au-delà du clivage ancestral entre paysans et pâtres, le chevrier est tenu le plus à l’écart car les chèvres sont non seulement douées de sentiment mais encore d’intelligence, c'est-à-dire diaboliques ! (d’après La Chèvre Caprice Vivant).
            Et selon Buffon « si l’espèce de la brebis venait à nous manquer, celle de la chèvre pourrait y suppléer…elle est capable d’attachement, elle est vive, capricieuse et vagabonde…l’inconstance de son naturel se marque par l’irrégularité de ses actions ».
Rien d’étonnant que devant les dégâts causés aux champs et aux jeunes arbres divers Parlements aient à intervenir au XVII ème eu XVIII ème siècle, repoussant sans cesse chèvres et chevriers vers les montagnes plus rudes.
            Quoiqu’il en soit au Mont d’Or, par exemple, où l’on fabrique un fromage réputé, l’exploitation caprine est très rationnelle en stabulation, puisqu’en 1877 on observe »que le cultivateur n’élève point les chèvres pour leur gentillesse mais surtout pour le lait et les chevreaux. Quand on les places dans des étables bien propres et bien soignées et qu’on les nourrit convenablement, elles s’accommodent de ce genre de vie et c’est ce qu’on appelle la stabulation.
            « Chaque chèvre donne 600 l de lait par an avec lequel on fait un fromage estimé, et chaque chèvre rapporte 125 F. par an… » (extrait du tour de la France par deux enfants de G.Bruno).

                                                            
           En Touraine, le fromage de Ste. Maure trouverait son origine à l’époque carolingienne et aurait été apporté par les invasions arabes. C’est un fromage long, tenu par une paille et roulé pour être conservé dans la cendre des boulines (javelle de sarments). A part quelque adaptation de matériel, le mode de fabrication n’a subi aucune modification depuis son origine, et continue à être moulé à la louche. Sa production reste surtout fermière comme de nombreux autres types de fromage de chèvre.

 

Histoire du Camembert

 

                                                                   

            L’origine des fromages normands est fort ancienne. Cependant, dans les dîmes, il n’est fait mention que de beurre et de fromages, sans autre précision. L’  « Augelot », notre actuel « Pont l’Evêque », est cité dans le « Roman de la Rose », mais il faut attendre le XVIIème siècle pour trouver mention du « Livarot », et si l’on en croit Jacques Perrier, journaliste parisien, du « camembert », qui serait cité dans les archives paroissiales en 1680.
            Ce qui est certain, c’est que Thomas Corneille, dans son dictionnaire Universel Géographique et Historique de 1708, écrit : «  Vimonstiers, bourg de France, dans la Normandie, du diocèse de Lisieux. On y tient tous les lundis un gros marché où l’on apporte les excellents fromages de Livarot et de Camembert. »
            Il ajoute : « Mémoire dressé sur les lieux en 1702 .»
            On peut supposer que Thomas Corneille ayant rendu visite à sa nièce Marie, fille de Pierre Corneille, qui résidait avec son époux Félix Guenegaud de Bois le Conte du Bruat, au manoir de Boisligny, près des Ligneries, en avait profité pour se rendre sur place. C’est non loin de là, aux Champeaux en Auge, que naîtra leur parente Charlotte de Corday d’Armont, en 1768.

                                                         
            La brève notice de Thomas Corneille sera reproduite par Antoine Augustin Bruzen de la Martinière, dans son grand Dictionnaire Géographique, Historique et Critique (1720-1730).
Toutefois, on attribue l’invention du Camembert à Marie Harel. On a beaucoup écrit sur elle, avec de nombreuses erreurs, allant même jusqu’à contester son existence. Voyons ce qu’il en est réellement.
            Jacques Etienne Fontaine est né à Camembert, le 25 mai 1737. Il est décédé à St Gervais, le 6 février 1820. Il avait épousé à St Léger, le 28 octobre 1758, Marguerite Legendre, qui est décédée à Camembert, le 12 octobre 1792. Ils eurent dix enfants, quatre garçons et six filles, dont sept sont nés à Crouttes et trois à Camembert.
            La seconde de leurs enfants, Marie Catherine Fontaine, naquit à Crouttes(Orne), le 28 avril 1761. Elle y fut baptisée le même jour par le vicaire de LeBelhomme, de cette paroisse, en présence de son parrain, Olivier Legendre et de sa marraine, Marie Fontaine, femme de Germain Vas, tous deux de Camembert, ses oncle et tante.
            Marie Catherine Fontaine épousa le 10mai 1785, à Camembert, Jacques Harel, fils majeur de Charles Harel, laboureur, et de Marie Leloup, de Guerquesalles (Orne). La bénédiction nuptiale leur fut donnée par J. Pichonnier, curé de Camembert.
En 1781, les époux Harel exploitaient la ferme de Beaumoncel, pour le compte de Mr.Perrier, fermier. Après la promulgation de la constitution civile du clergé, ils y cachèrent un prêtre réfractaire. D’après le récit de son petit fils Victor Paynel, c’est cet ecclésiastique qui, voyant Marie Harel, née Fontaine, faire des « Camembert », comme les fermières de la région, lui aurait donné d’utiles conseils, car il connaissait la fabrication du « Brie ». Cela n’a rien de surprenant, quand on sait la parenté qui existe entre les fromages de Brie et de Camembert, tous deux à pâte molle et à croûte moisie.
            Marie Harel a-t-elle inventé le Camembert ? On ne peut répondre à cette question, car, si l’on connaît la façon dont elle procédait, on ignore comment faisaient les fermières avant elle. Elle a donc pu, mettant en pratique les conseils donnés, créer un nouveau mode de fabrication n’ayant que peu de rapport avec l’ancien.

                                                        
            Quoiqu’il en soit, ce qui est certain, c’est qu’elle mit au point et perfectionna le Camembert. Aussi, la réussite ne tarde pas. Elle vendit ses fromages sur place, aux marchés de Vimoutiers et d’Argentan, et même, en 1798, elle établit un débit chez une dame Trouvé, marchande de comestibles, rue de l’horloge à Argentan.
            Sa fille ainée, Marie Harel, naquit à Roiville (Orne), le 29 décembre 1787. Elle apprit les recettes de sa mère. Elle se maria en 1813 à Augustin Thomas Paynel, de Champosoult (Orne). Elle continua la fabrication du Camembert, et reçut, pour cela, des encouragements et des récompenses, en particulier de l’Association Normande en 1846.Elle vendit d’ailleurs de ses fromages à Caen, par l’intermédiaire de Me Chalenge, marchande de fromages, rue de la Monnaie.
            Marie Paynel mourut le 14 mai 1855 à Champosoult, où elle est enterrée.
            On comprend donc bien les confusions qui ont eu lieu entre la mère et la fille entre Marie Harel, née Fontaine et Marie Harel, épouse Paynel, attribuant à l’une ce qui est à l’autre, et réciproquement, allant même jusqu’à indiquer la date de la mort de la fille pour celle de la mère, cette date ainsi que le lieu de sa sépulture étant inconnus.
            Les descendants de Marie Harel-Paynel, continuant la tradition, donnèrent de l’extension à la fabrication du Camembert :
-Mr Paynel aîné, d’abord à Camembert, puis à Coupesarte, enfin à Grandchamp (Calvados)
-Mr Paynel Cyrille, d’abord à Garnetot, puis à Mesnil-Mauger (Calvados)
-Mr Paynel Victor à Champosoult (Orne)
-Me Paynel Julie, épouse Lebret, à Mezidon (Calvados)
-Me Morice, à Lessard, qui était la filleule de Mr Paynel père, et qui aurait fondé la première fabrique industrielle de Camembert, dans le Calvados .
            Victor Paynel a également raconté à Mr LeCoeur, ainsi que le certifie son gendre, Mr. A. Gavin, maire de Vimoutiers et conseiller général de l’Orne, comment il contribua à la diffusion du Camembert. Il en aurait offert quelques exemplaires à Napoléon III, lors de son passage à Surdon, en 1863. Certains disent qu’il y était venu inaugurer la ligne de chemin de fer de Paris à Granville, mais d’autres prétendent qu’à cette époque, la ligne s’arrêtait à Laigle. L’empereur, qui avait passé la nuit à la sous-préfecture d’Argentan, et repartait de Sudon vers Le Mans, apprécia les fromages et demanda à Vitor Paynel de lui en porter aux Tuileries. Ce qu’il fit. Il déclara que si cela lui avait coûté cher, il avait eu du mal à fournir à la demande par la suite.
            La production du Camembert s’étendit et ne resta pas l’exclusivité des descendants de Marie Fontaine-Harel. De la Vallée d’Auge à la Normandie, puis aux autres provinces, finalement à l’étranger, le Camembert se répandit grâce à l’absence d’appellation d’origine, cadeau des Normands et pas seulement à la fromagerie française. Sa fabrication de fermière devint industrielle.

                                                         
            Le 17 mars 1926, un Américain, le Docteur Joseph Knirim arriva à Vimoutiers.il apportait une couronne destinée à Marie Harel, inventeur du Camembert, en reconnaissance de la guérison de ses patients, dont l’estomac délabré ne pouvait supporter que ce fromage, de haute digestibilité quand il est affiné.
             Si les faits que nous venons de rapporter ressortent en presque totalité de la littérature de l’industrie laitière, parue bien avant cette date, ils n’étaient connus que des spécialistes. Aussi, après quelques recherches, l’on mena le Dr.Knirim sur la tombe de Marie Harel-Peynel, à Champosolt, pour qu’il dépose sa couronne. Il ouvrit une souscription pour qu’une statue soit érigée à sa mère, bienfaitrice de l’humanité. C’est ainsi que fût inaugurée la statue de Marie Harel, née Fontaine, en, 1928, par le président Millerand.
            Par suite des bombardements de 1944, cette statue fut partiellement détruite, décapitée.
En 1951, la municipalité de Vimoutiers reçut une souscription des 400 employés de la plus grande fabrique de Camembert Américain, à Van Wert (Ohio), pour réédifier une nouvelle statue. C’est celle que l’on peut voir actuellement. Elle fut inaugurée en 1953.
            Si le Camembert s’est répandu à travers le monde, il n’en reste pas moins que c’est sur les lieux d’origine que l’on fabrique les meilleurs, par suite de la conservation du lait cru donc de la flore microbienne  et du respect de certaines traditions.


Bibliographie : I.E.S.I.E.L. ; M.Desfleurs.

 

Historique de la fabrication des fromages à pâte cuite

La fabrication du Gruyère est, depuis plusieurs siècles, la principale spéculation laitière du Doubs. De tout temps, très importante dans la partie montagneuse, elle s’est rapidement répandue dans la plaine à la fin du XVIIIème siècle.

               
Cette industrie du Gruyère est née, il y a déjà bien des siècles, sur nos plateaux et dans les régions similaires de Suisse sous la forme du travail en commun. La rigueur du climat, l’éloignement des gros centres de consommation, l’abondance des herbages et des pâtures, amenèrent naturellement les cultivateurs à utiliser leur lait de façon à en retirer des fromages de longue conservation. Pour cela, ils durent faire subir au caillé une certaine cuisson et ainsi naquit la fabrication des pâtes cuites. Nos fromageries furent donc de véritables institutions de nécessité économique, groupant le lait de toute une commune et imposant par suite aux fournisseurs une réglementation sévère. La mise en commun du lait, des répercussions graves résultat du travail de lait défectueux et malpropre amena, par la surveillance réciproque des coopérateurs, l’habitude de ne livrer que du lait de qualité.
Cette mesure jointe à la fraîcheur des nuits sont à l’origine des qualités commerciales des Gruyères et des Comtés, de leur bonne conservation en justifient la renommée qu’ils rencontrent sur les divers marchés.
Sans nous étendre ici sur l’origine même de ces fromages dont les uns croient la technique venue de Suisse, le nom Gruyère étant celui d’une localité Suisse, et que d’autres, pour des raisons moins sérieuses fixent sur le versant français des Monts du Jura, où nous constatons la présence de fromageries à Gruyère, à Lavier en 1264, à Déservillers en 1267, etc…, il convient de rappeler le département faisait à cette époque deux fabrications qui se distinguaient par la seule nature du lait employé, les vacherins (1), ancêtres du gruyère qui provenaient du traitement du lait de vache et les chevrets qui étaient faits avec du lait de chèvre, alors assez nombreuses. Les fromagers s’appelaient fruitiers ou gruyérins et s’engageaient à Pontarlier à la St.Georges, sur une place qui s’appelait" gruière".
De bonne heure, le nombre des fromageries à gruyère est considérable en Franche-Comté. Un arrêt du Parlement de Dole en date du 19 12 1654 prétendit interdire la fabrication du fromage à compter de 1er mai 1655, sous prétexte que le nombre de ces fruitières était excessif et que la vente des fromages s’effectuait en grande partie en dehors de la province au grand préjudice du pays. Mais les réclamations énergiques des députés des états de Franche-Comté amenèrent la levée de cette interdiction des l’année suivante.
Dans son histoire de l’Abbaye de Montbenoît, Barthelet mentionne une délibération prise le 21 avril à Lièvremont, canton de Montbenoît, pour réglementer la fabrication en fruitière. Il y est dit notamment : « Qu’aucun particulier ne pourra quitter l’un avant l’autre, sinon qu’il ait cause légitime et qu’il en expose de justes raisons aux autres associés qui les examineront  et lui accorderont ou refuseront sa demande. Si quelque associé était reconnu en faute tant pour la netteté du lait que pour tout autre inconvénient nuisible à la bonne fabrication du fromage le maître fruitier lui en fera pour la première fois un avertissement secret, la deuxième fois il avertira les préposés institués et tous ensemble lui diront de se corriger et la troisième fois, il sera exclu de l’Association ».
C’est le plus ancien écrit statutaire que nous ayons sur nos coopératives. On y constate nettement le souci de la livraison à la fromagerie d’un lait de qualité et on voit que ses préposés appelés actuellement gérants exerçaient une mission en tous point comparables à celle encore effectuée aujourd’hui dans des circonstances semblables.

                                                           ( Enquête agricole 1929 du département du Doubs).

Note (1) : actuellement le vacherin n’a rien à voir avec le gruyère c’est le vacherin Mont d’Or vendu en boite en bois entouré d’une ceinture en écorce de bouleau.

                            

En montagne les vaches ont de belles cloches au cou pour être repérées de loin.

                                

                                                 

                                cloche suisse allemande


www.collection-agricole.fr